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TPE sur la perception de la laideur humaine au XIXème siècle

25 janvier 2010

Conclusion

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25 janvier 2010

III. Laideur humaine et peinture (par Cécile)

  1. L'académisme

  2. Le romantisme

  3. Le réalisme

  4. L'art nouveau

25 janvier 2010

II. Laideur humaine et littérature (Par Clara)


 1.  Gwynplaine, l’homme au sourire inquiétant 

  

 Victor Hugo (né en 1802 et mort en 1885) est écrivain, dramaturge, poète, homme politique, académicien et intellectuel engagé. Il crée le personnage de Gwynplaine dans L'Homme qui rit, un enfant défiguré par un rictus permanent de rire grotesque, rendu tel par des trafiquants, les « comprachicos », qui achètent  des enfants, pratiquent une chirurgie faciale ou corporelle, selon la finalité recherchée ou demandée, et les revendent sur le marché des monstres, c’est-à-dire les foires. Il a les articulations disloquées d’une façon savante : on lui « avait fendu la bouche, débridé les lèvres, dénudé les gencives, distendu les oreilles, décloisonné les cartilages, désordonné les sourcils et les joues, élargi le muscle zygomatique, estompé les coutures et les cicatrices, ramené la peau sur les lésions, tout en maintenant la face à l’état béant, et de cette sculpture puissante et profonde était sorti ce masque, Gwynplaine ». On lui avait laissé les dents, car elles sont nécessaires au rire. Ainsi, il avait « une bouche s’ouvrant jusqu’aux oreilles, des oreilles se repliant jusque sur les yeux, un nez informe fait pour l’oscillation des lunettes de grimacier, et un visage qu’on ne pouvait regarder sans rire ». Il faut noter que la difformité physique de Gwynplaine ne concerne que son visage, complètement défiguré, le reste du corps étant intact. Gwynplaine, beau de corps (il était grand, bien fait et agile), avait probablement été beau de figure. En naissant, il avait dû être un enfant comme un autre. Ses cheveux ont été teints définitivement en ocre jaune, lui faisant une tignasse crépue et laineuse. Derrière ce masque, Gwynplaine n’est pourtant que douceur, gentillesse, droiture et innocence. 

Fils d’un lord anglais exilé en Suisse, il a été enlevé à l’âge de 2 ans, sur ordre du roi Jacques II et vendu à ces abjects comprachicos. Gwynplaine reste avec eux jusqu’à l’âge de 10 ans, mais il est abandonné quand ceux-ci prennent la mer pour fuir la justice qui les pourchasse. Cet abandon se passe en 1690, moment où l’on rencontre Gwynplaine pour la première fois et moment où lui-même sauve Dea, un bébé âgé d’environ 6 mois, d’une mort certaine par une nuit d’hiver alors que sa mère succombe dans le froid. Cette terrible nuit, Gwynplaine et Dea, qui est aveugle, sont recueillis par Ursus, vieux philosophe itinérant, qui leur sert de père, de professeur et de protecteur jusqu’à ce qu’ils deviennent adultes. Ursus apprend à Gwynplaine à jouer la comédie et c’est comme troupe de théâtre qu’ils arrivent à Londres en 1705 alors que le jeune homme a 25 ans, est complètement ignorant des usages du monde et n’a d’yeux que pour Dea, sa sœur et amie. Dea est son alter ego avec qui il partage la douleur des infirmes et des orphelins, mais Gwynplaine a des doutes sur leur amour : ne profite-t-il pas de sa cécité pour se faire aimer alors qu’il est horrible à voir ? 

C’est à Londres que Gwynplaine apprend sa réelle identité : confronté au prisonnier Hardquanonne, l’homme qui l’a opéré et lui a donné cet éternel sourire monstrueux, le « masca ridens » (masque de rire), il est reconnu par la justice comme étant Lord Clancharlie, pair du royaume. Quand il apprend sa bonne fortune (marquis, baron, maître de quatre-vingt mille fermiers, juge, propriétaire de huit châtellenies, etc.), Gwynplaine a un coup de folie des grandeurs. « Je sentais bien sous mes haillons palpiter autre chose qu’un misérable, et, quand je me tournais du côté des hommes, je sentais bien qu’ils étaient le troupeau et que je n’étais pas le chien, mais le berger. » Il réclame sa vengeance pour avoir été spolié, abandonné, réduit à l’errance et à la misère, marginalisé. Il songe à profiter de ses biens. Dès lors pourrait s’ouvrir une vie de rêve et d’opulence, mais Gwynplaine est défiguré à jamais et il aura beau faire tout ce qu’il voudra et tenter de prouver au monde qu’il est un homme respectable, honnête et bon, il restera un bouffon dont la haute société continuera de rire sans le comprendre. Il avait cru pouvoir être aimé de Josiane, la superbe duchesse, mais celle-ci le repousse. Il avait cru trouver une famille en son demi-frère David, celui-ci le provoque en duel. Il avait cru peser à la Chambre des Lords, il a été dénigré et ridiculisé. 

 Plusieurs traits caractérisent Gwynplaine dans le roman de Victor Hugo. Le jeune homme ne pourra jamais sortir de ce rôle d’amuseur de foire. Même quand, ayant récupéré son titre de pair d’Angleterre, il prononcera un discours enflammé en faveur des pauvres, il demeurera un saltimbanque, un bouffon. Jamais il ne sera pris pour lui-même, sauf de la part de celle qui ne voit pas, Dea. Il n’est que sa difformité : « Chose inexprimable, c’était avec sa propre chair que Gwynplaine était masqué. Quel était son visage, il l’ignorait. Sa figure était dans l’évanouissement. On avait mis sur lui un faux lui-même. Il avait pour face une disparition. ». 

 Quand il se regarde, il voit un inconnu. De plus, cet inconnu est monstrueux, avec un visage si épouvantable qu’il amuse : « Il faisait tant peur qu’il faisait rire. Il était infernalement bouffon ». Dès qu’on voit Gwynplaine, on rit. Quand on a ri, on détourne la tête. Les femmes surtout en ont horreur. Pour elles, en effet, cet homme artificiellement horrible « était insupportable à voir et impossible à regarder ». Lorsqu’il paraît en public, il essaie de « regarder les femmes qui étaient dans la foule ; mais il détournait tout de suite ce regard en contravention, et il se hâtait de rentrer, repentant, dans son âme. [...] Sur le visage de toutes les femmes qu’il regardait il voyait l’aversion, l’antipathie, le rejet ». 

 En ce qui concerne le rire de Gwynplaine, il est automatique et éternel. De plus, le protagoniste a de gros problèmes pour le maîtriser : « C’est en riant que Gwynplaine faisait rire. Et pourtant il ne riait pas. Sa face riait, sa pensée non. [...] Le dehors ne dépendait pas du dedans. [...] Personne ne se dérobait à ce rictus ». Avec un grand effort, il « pouvait parvenir à suspendre cet éternel rictus de sa face et à y jeter une sorte de voile tragique, et alors on ne riait plus devant lui, on frissonnait ». En réalité, il ne fait presque jamais cet effort, car c’est une fatigue douloureuse et une tension insupportable pour lui.

Nous pouvons faire un parallèle entre Gwynplaine et Josiane. Ce que Gwynplaine est au-dehors, c’est-à-dire un personnage repoussant, Josiane l’est à l’intérieur. Elle se sait monstrueuse, d’autant qu’elle est bâtarde (elle est née d'une union illégitime). Le monstrueux externe lui permet de se complaire d’elle-même. S’unir au monstrueux, c’est s’en défaire mais c’est aussi un rapport de purification, d’autant que Gwynplaine est, avec Dea, l’image de la pureté absolue dans un monde visqueux. Josiane, dans sa perversité, ne considère pas Gwynplaine comme un autre véritable. Elle est son double inversé. C’est pourquoi il ne lui sera tout à coup plus rien quand elle apprendra qu’il est pair d’Angleterre destiné à devenir son mari. Elle n’a rien à faire d’un mari difforme. Gwynplaine n’était révélateur que dans la transgression, ce qui lui permettait d’aller au-delà. 

Ainsi, Victor Hugo, en faisant une sorte de pont entre le bouffon du Moyen Âge et la curiosité du XIXème siècle, prend en compte la thématique de la monstruosité « morale », dont la monstruosité physique est image et annonce le glissement de la notion de monstruosité du corps physique aux grandes terreurs sociales (au XXème siècle, la guerre de 1914-1918, le nazisme et le totalitarisme soviétique) et à leurs protagonistes, ou son éloignement dans la science-fiction. 

Gwynplaine est en tout cas un personnage touchant et lumineux, symbole de la souffrance des humbles, qui rappelle le bossu Quasimodo de Notre-Dame de Paris, cachant sous un corps laid une âme belle et aimante. 

 


2. La Créature de Victor Frankenstein 

Ecrit par Mary Shelley en 1816, Frankenstein ou le Prométhée moderne commence de la manière suivante : un scientifique, Robert Walton, mène une expédition folle vers le pôle. Malheur lui en prend : le navire et l'équipage se retrouvent coincés dans les glaces. Scrutant désespérément l'horizon, on croit apercevoir une personne sur un traîneau, filant à vitesse vertigineuse. L'incrédulité s'évanouit lorsque cet homme est recueilli : il s'agit de Victor Frankenstein. En piteux état, il est soigné par Robert Walton et son équipage. Lorsqu'il va mieux, il confie la raison de sa présence en un lieu si peu propice à la vie. Ainsi commence le récit de son histoire. Ce scientifique génial créé un être vivant à partir de morceaux de cadavres (il est à noter que beaucoup de gens croient que Frankenstein est la Créature ; or, il est en fait son créateur). Puis, horrifié, il l’abandonne et s’enfuit. En proie au monde qui l'entoure, qu'il ne comprend pas et qui ne le comprend pas, le Monstre décide de commettre le mal lui-même en assassinant pour commencer le petit frère de Frankenstein (« Je peux, moi aussi, créer le désespoir ! ») et va trouver ce dernier, lui expliquant ses malheurs. Le monstre promet de laisser les humains en paix si Frankenstein lui fabrique une compagne. Le savant s'exécute, mais détruit son œuvre au dernier moment, craignant que cela ne provoque un danger pire. Pour se venger, la Créature assassine Clerval, le meilleur ami de Frankenstein, puis sa fiancée, Elisabeth. Frankenstein décide alors de poursuivre la créature, ce qui le mène au Pôle Nord. Il finit par y mourir de froid, racontant avant d'expirer son histoire au capitaine Walton, explorateur l'ayant recueilli sur son bateau. Le monstre, pris de remords et reconnaissant ses crimes, part au loin s'immoler par le feu. 

Mary Shelley propose un monstre bien réel créé selon les principes de la science. Animée de bonnes intentions, la créature de Frankenstein ne deviendra mauvaise que par obligation, dans la quête désespérée d'un bonheur dont elle est privée. Critique des dérives de la science et de l'humanité, Frankenstein est également un pamphlet contre l'ordre social, où l'exclusion menace quiconque veut s'éloigner des normes. Mary Shelley, féministe autoproclamée, athée, à la jeunesse marquée de scandales et de reniement, s'exprime-t-elle par la bouche de son monstre ? Certains détails de l'oeuvre le laissent penser, lors d'acerbes réflexions de la créature sur l'humanité et le monde qui l'entoure. L'Homme, placé au centre de tout par les philosophes des Lumières, devient un être orgueilleux, vicieux, incapable d'assumer ses responsabilités. 

  

3.   Baudelaire ou la sublimation de la laideur 

  

Charles Baudelaire (1821-1867) est critique d’art, traducteur d’Edgar Allan Poe et poète. En 1857, il publie le recueil de poèmes Les Fleurs du Mal. L’œuvre fait scandale et est aussitôt condamnée pour immoralité. Six poèmes sont censurés. 

L’antithèse du titre précise l’enjeu du recueil : « extraire la beauté du Mal ». Le mal, ce sont les souffrances de créateur et de l’amant, sa mélancolie, sa perversité et ses haines. Les fleurs, ce sont les purs poèmes que l’alchimie verbale crée à partir de la souffrance et de l’horrible. Par sa construction, le recueil peut se lire comme l’itinéraire d’une âme à la recherche de l’idéal. 

 La seule première partie, « Spleen et Idéal », réunit les deux tiers des poèmes de l’ensemble, soit quatre-vingts pièces. Suivent : « Tableaux parisiens », dix-huit pièces ; « Le Vin », cinq ; « Fleurs du mal », neuf ; « Révolte », trois ; et « La Mort », six.

 

       

 Pour comprendre les reflets de la laideur par Baudelaire, nous allons étudier quatre poèmes, extraits des Fleurs du Mal : « Le Masque » et « Une Charogne », extraits de la première partie ; « Les Petites Vieilles », qui fait partie de « Tableaux parisiens » ; et enfin, « Les Métamorphoses du Vampire », qui est tirée des Pièces Condamnées (celles qui ont été censurées lors de la première publication de 1857). Ces textes, qui traitent tous paradoxe entre apparence et réalité, peuvent se regrouper en deux idées principales : d’une part, la beauté qui cache le Mal, et d’autre part, la vieillesse derrière laquelle on retrouve la beauté première.

 



Le poème « Une charogne » présente une situation atypique : un couple en promenade, Baudelaire et une femme, représentant peut-être sa maîtresse Jeanne Duval, la Vénus noire, qui « au détour d'un sentier » rencontrent un cadavre d'animal en décomposition. Ce poème évoque une sorte de lettre ou de discours de Baudelaire à celle qu'il aime   pour lui dire que seul le poète -ou l'amant- peut garder l'éternité d'une forme dans sa beauté : le temps détruit tout et la beauté devient laideur. C’est une forme de poésie qui repose, entre autres, sur l'alliance des contraires afin de présenter une autre vision du monde.

Baudelaire, dans un contexte agréable, présente une description repoussante de la charogne. Il frappe d'emblée l'imagination du lecteur par une opposition forte : « un été si doux » / « une charogne infâme ». La chose doit être surprenante puisqu'elle se trouve « au détour d'un sentier », ce qui signifie que les deux promeneurs tombent dessus sans s'y attendre. On retrouve le champ lexical de la mort, avec les mots « charogne », « carcasse », « squelette », « ossements », « ordure », « décomposition », « pourriture » et « horrible infection » ; celui de la putréfaction : « exhalaison », « puanteur », « vermine », « larves », « mouches » et « putride ». Nous pouvons observer la présence d’une oxymore à effet ironique : « carcasse superbe » (vers 13), ainsi qu’une antithèse qui crée des chocs d’atmosphère : « soleil rayonnait sur cette pourriture »

Paradoxalement, plusieurs éléments de la vie sont présentés : « Et le ciel regardait la carcasse superbe / Comme une fleur s'épanouir. » (vers 13 et 14) et « On eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague, / Vivait en se multipliant. » (vers 23 et 24). De plus, le soleil, indispensable à la vie végétale, vient rayonner sur ce cadavre en décomposition : « Le soleil rayonnait sur cette pourriture, / Comme afin de la cuire à point, / Et de rendre au centuple à la grande Nature / Tout ce qu'ensemble elle avait joint » (vers 9 à 12). Le processus de décomposition est tel que le poète utilise le mot « centuple » pour l'évoquer. « Le soleil cuit à point » : la chaleur est donc très forte, accélérant ainsi le phénomène.

 Il fait une description érotique de la carcasse : « Les jambes en l'air, comme une femme lubrique, / Brûlante et suant les poisons, / Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique / Son ventre plein d'exhalaisons. » (vers 5 à 8). En effet, le « ventre », les « jambes en l'air », une « femme lubrique, brûlante » – ce qui  est un double sens : celui de la fièvre qui conduit à la mort, mais aussi celui du feu du désir –, l'adjectif « nonchalante » qui résonne ici avec sensualité, font penser à une femme qui offre son corps. De plus, les « exhalaisons » font penser au parfum dont s'enduit la courtisane. La charogne est donc comparée à une femme ou à une prostituée.

« Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve, / Une ébauche lente à venir, / Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève / Seulement par le souvenir. » (vers 29 à 32) : Charles Baudelaire en vient à évoquer le rôle de l'artiste, c'est-à-dire du poète. La comparaison est ici empruntée à la peinture. Par un curieux paradoxe, c'est au moment même où les formes s'effacent – le corps se décompose totalement et devient une bouillie de chairs en décomposition – que l'ébauche d'une forme peut se faire. La poésie arrache les êtres et les choses au gouffre de la mort et à la réalité de la décomposition. Elle le fait par un processus très précis : le poète (l'artiste) ne peut retenir du réel que des impressions mortes, désignées ici par la figure du cadavre. Sa sensibilité, son génie consiste à les ressusciter sous une forme sublimée . L'artiste métamorphose la mort en vie.

La vieillesse et la mort sont donc masquées par la beauté du moment. Baudelaire sublime une carcasse ; il extrait la beauté de l’horreur, tout en rappelant à l’humain que son futur est de devenir comme cette charogne. Le parallèle entre vieillesse et jeunesse est le même que la comparaison entre laideur et beauté ; les deux se suivent.

 

« Les Petites Vieilles » a été publié pour la première fois en 1859 sous le titre de « Fantômes parisiens ». Baudelaire décrit dans ce poème sa rencontre avec les petites vieilles de Paris. Elles ont un aspect presque archéologique, et témoignent d’un temps qui n’est plus. Elles sont les témoins d’une époque révolue ; de ce fait, elles entretiennent un rapport singulier à la réalité, comme si elles étaient déplacées dans ce monde moderne qui n’est pas le leur. Ces pauvres êtres n’existent que sous le regard amusé et apitoyé du poète. Son point de vue est à la fois détaché, ce qui se traduit par une certaine forme de cruauté, et fasciné : il se projette en elles et élabore à leur contact toutes sortes de scénarios imaginaires, pris dans une espèce de dérive hors de lui qui le pousse vers ces créatures extraordinaires.

Nous étudierons dans un premier temps le portrait général de ces petites vieilles, puis la manière dont elles sont perçues par le poète.

La principale caractéristique de ces femmes est leur marginalité. Elles sont hors de la civilisation par leur âge, elles ne sont vues que par les autres marginaux de la société, et leur vieillesse est un cas universel.


 

25 janvier 2010

I. Laideur humaine et société (par Emilie)

  • Les réactions et les représentations populaires

1.     Les réactions et les représentations populaires

Désormais absents de la mémoire collective, les zoos humains sont symboles de l'époque coloniale et du passage du XIXe au XXe siècle. Ils ont bel et bien existé, et c'est par dizaines de millions que des Français, des Européens ou des Américains sont venus découvrir, pour la première fois, le "sauvage"... dans des zoos ou dans des exhibitions ethnographiques et coloniales. Selon les plus basses estimations, ce sont 400 millions d’Européens et Américains qui vont à la rencontre de l’Autre. Un « autre » mis en scène et en cage. Il constitue, pour la grande majorité des personnes, le premier contact avec l’altérité. L’impact social de ces spectacles dans la construction de l’image de l’Autre est immense, d’autant qu’ils se combinent alors avec une propagande coloniale omniprésente (par l’image et par le texte) qui imprègne profondément l’imaginaire.

Mais l’Étranger n’est pas spécialement considéré comme laid ; au contraire, il fascine. Les mentalités changent, on découvre beaucoup. La science reprend sa place face aux interprétations merveilleuses et religieuses du passé. Elle crée une nouvelle discipline : la tératologie, théorisée par Geoffroy Saint Hilaire en 1832, l’étude des individus monstrueux. Du merveilleux d’autrefois, inspirant crainte et respect, on passe à l’anormal, qui suscite mépris et horreur. La tératologie a pour mission de transformer les êtres humains qui présentent une particularité physique en des spécimens pathologiques. Tout écart est discriminé ; les personnes différentes, que ce soit physiquement ou mentalement, sont exposées comme des bêtes de foire dans des spectacles et autres manifestations populaires.

Les spectacles de phénomènes de foire sont très scénarisés, la plupart du temps précédés de discours exagérés, eux-mêmes emplis de mensonges. Les impresarios ont de cette façon renforcé les préjugés et stéréotypes déjà présents dans l’inconscient des peuples.

Le XIXème siècle est celui des exhibitions de monstres et des zoos humain, il prône l’uniformité et délimite les frontières de ce qui est jugé acceptable pour la société occidentale et rejette tout ce qui le perturbe.

  • Les "monstres humains", victimes de leur image hideuse

Un monstre est un individu ou une créature dont le comportement et/ou l’apparence effraient et ne « respectent » pas les normes de la société. Au XIXème siècle, plusieurs « monstres humains » sont exposés face au regard fasciné et dégoûté de la société. Joseph Merrick est une des figures les plus emblématiques des humains victimes de leur apparence. Voici son histoire, et d’autres exemples de personnes qui, par leur physique, subirent les moqueries et mauvais traitements de la part d’une société qui, haïssant la différence, détruisit leur dignité et leur vie sous les regards amusés.

Joseph Carey Merrick, plus connu sous le nom de l’homme éléphant, est un des cas les plus célèbres de monstruosité physique. Il a été présenté comme phénomène de foire sous le nom de Elephant Man. Il est né le cinq août 1862 dans un quartier pauvre de Leicester, une petite ville au nord de Londres dont la principale ressource est l’industrie textile, de Joseph Rockly Merrick et Mary Jane Merrick (née Potterson). Il est l’aîné de trois enfants : un frère, William, et une sœur, Marion. Parfaitement constitué à la naissance, ce n’est que vers l’âge de vingt et un mois qu’apparaît une enflure de la lèvre inférieure qui va entreprendre la joue droite et provoquer une protubérance de la lèvre supérieure, en ébauche de trompe. D’autres malformations apparaissent les années suivantes : bosse frontale, relâchement et rugosité cutanés, augmentation de volume du bras droit et des pieds, et après une chute, il se met à boiter.  Ces difformités vont faire de lui un enfant solitaire et renfermé, alors que le reste de sa famille mène une existence ordinaire.

En 1873, sa mère meurt. Il a alors onze ans quand disparait la seule personne qui lui avait apporté amour et compréhension. Son père se remarie, suite à quoi il sera rejeté par sa belle-mère, raillé par ses demi-frères et délaissé par son père. À douze ans, sa scolarité se termine, et sous toute cette pression familiale, il est obligé de chercher du travail. Il en trouve dans une manufacture de cigare mais la lourdeur de son bras droit et la maladresse de ses gestes le rendent progressivement inapte. À quinze ans, après une petite période de chômage, il acquiert un permis de colportage pour vendre la marchandise de la mercerie familiale, mais son langage de moins en moins compréhensible et son aspect physique effrayant l’empêchent de vendre. Sa belle-mère le sous nourrit et l’accuse de traîner dans les rues ; il est réduit à dépenser l’argent des ventes pour acheter à manger. Exclu du domicile par son père, Joseph quitte un foyer qui n’a plus rien de familial. Il est recueilli par son oncle Charles Barnabus Merrick, qui lui propose de reprendre le colportage sans obligation de rendement ; mais le moindre de ses déplacements provoque un déplacement et, peu avant ses dix-huit ans, la police lui supprime son permis de colportage pour trouble de l’ordre public.

Son oncle est très pauvre, et Joseph refuse de rester à sa charge. En décembre 1879, il est admit à l’hospice des pauvres de Leicester. Il y reste un peu plus de quatre ans, jusqu’à ne plus supporter la monotonie et la dépendance. À vingt-deux ans, en août 1884, il contacte Sam Torr, le propriétaire d’un spectacle de music-hall, le Gaiety Palace of Varieties, et lui propose de le produire comme phénomène, afin d’échapper à l’hospice et d’accéder à une indépendance financière. Sam Torr et trois de ses associés organisent donc son exhibition, sous le nom d’Homme Éléphant.

Après s’être produit dans différentes villes, il arrive en novembre 1884 à Londres. C’est un dénommé Tom Norman, impresario opportuniste et rusé, qui se charge de le produire dans une boutique de Whitechapel Road qui se trouve en face de l’hôpital de Londres, en le présentant  comme homme-éléphant, monstre mi-homme, mi-éléphant. Ce genre de spectacle attirait particulièrement  les étudiants en médecine, dont Reginal Tuckett, jeune interne en chirurgie, qui rapporta à son maître Frederick Treves, docteur en chirurgie, l’existence  de l’Homme Éléphant. Celui-ci  se rend à la boutique où il obtient la possibilité d’examiner et photographier l’Homme-Éléphant au Collège royal de médecine puis de le présenter à la séance de décembre 1884 de la Société de pathologie de Londres. Les seules réactions qu’il suscite alors sont des réticences quant à l’utilité de telles présentations.

Le monde médical ne lui ayant rien appris de concret, Joseph Merrick  reprend sa vie d’exhibition, mais en 1885 une ordonnance de police prescrit  la fermeture des établissements exhibant des monstres en Grande-Bretagne,  car considérés comme immorales par la société victorienne. Il est confié un impresario autrichien en instance de départ  pour le continent, mais là aussi, il se heurte  à la police et l’impresario, réalisant que ce genre d’exhibition a cessé d’être rentable, abandonne l’Homme Éléphant en juin 1886 à Bruxelles, après l’avoir dépouillé de ses cinquante livres d’économie.

Joseph Merrick  rassemble ses maigres économies pour rentrer. Il rejoint la gare de Liverpool Street à Londres, où il cause une émeute. La foule attire la police, qui contacte le chirurgien Treves. Il le prend en charge  et l’installe dans une chambre individuelle à l’hôpital de Londres.

Grâce à une annonce de le Times, les fonds nécessaire à sa garde à l’hôpital sont réunis. En 1886, le conseil d’administration de l’hôpital l’admet à l’unanimité comme résident permanant et lui aménage deux pièces isolées.

L’Homme Éléphant  reprend confiance et va se révéler, au delà de son apparence physique, intelligent, sensible, curieux, et grand lecteur.

À cause de la presse, il devient un objet de curiosité et suscite alors un intérêt considérable. Frederick Treves se retrouve malgré lui impresario de son ami. Il reçoit de nombreuses visites, donc celle de la princesse Alexandra et du prince de Galles (le futur roi Edouard VII). Il conquiert aussi l’affection d’une grande actrice, madame Kendal, qui, entre autres, lui fera découvrir la musique, lui apportera de livres et lui permettra d’assister à une pièce de théâtre.

Joseph Carey Merrick meurt le onze avril 1990,  à vingt-sept ans. Il est découvert allongé sur le dos, alors qu’il dormait habituellement assis à cause de  sa tête trop lourde. Treves suggérera qu’il avait peut-être voulu dormir en position naturelle. Il serait donc mort par le désir de vivre comme tout le monde.

Voici quelques exemples de monstres humains :

·      Sarah Baartman :

Née en 1789, cette esclave appartenant à un fermier hollandais installé en Afrique du Sud fut exhibée en Europe à toutes les personnalités de l'époque à cause de son proéminent postérieur. Puis, elle fut vendue à un marchand français qui la força à s'exhiber dénudée. Ce dernier la prostitua également jusqu'à sa mort en 1815. Sa dépouille exposée jusqu'en 1974 au musée de l'Homme de Paris a été rendue en 2002 à son pays.

·      Giovanni et Giacomo Tocci :

Ils virent le jour en Sardaigne en 1877. Contrairement aux autres siamois, ils ne pouvaient pas marcher seuls. Ils devaient être aidés. Leur premier impresario fut leur père. Il les promena dans toute l'Europe et plus particulièrement en France. Les français comme les Américains étaient friands de ce genre de spectacle. Ils revinrent en Italie à l'âge de 23 ans, très riches. Ils vécurent à Venise retirés de tout après s'être mariés tous les deux à deux soeurs. L'Italie, patrie du pape et de l'église, célébra ce double mariage. Chaque cerveau ne commandait qu'une jambe et ils n'avaient qu'un sexe. Ils moururent en 1940 et eurent leur statue de cire.

·      Chang et Eng Bunker :

         On doit à ces deux frères nés en 1811 en Thaïlande, qui s'appelait alors le Siam, le terme de « frères siamois ». Ils firent une carrière internationale dans le spectacle avant de s'installer comme propriétaires d'une plantation dans la ville de Wilkesboro en Caroline du Nord. Ils épousèrent les sœurs Yates : Adelaide et Sarah Anne. Adelaide et Chang eurent dix enfants, et Sarah Anne en eut onze avec Eng. Ils moururent à quelques heures d'intervalle en 1874.

·      Joséphine Myrtle Corbin :

          Elle naquit à Cleburne au Texas en 1868. Joséphine avait une malformation de naissance qui lui donna quatre jambes. Elle fit carrière dans le monde du spectacle sous le pseudonyme de « La Fille à quatre jambes du Texas ». Puis, elle se mariat à l'âge de 19 ans avec le docteur Clinton Bicknell à qui elle donna quatre filles et un fils avant de mourir en 1928.

   

·      Juliana Pastrana :

         Surnommée « la femme gorille » du fait de ses poils, elle fut une curiosité en ce qui concernait le chaînon manquant entre le singe et l'homme. Darwin lui-même l'étudia. Elle naquit en 1832 à Mexico et l'impresario qui la produisait n'était rien d'autre que son mari. Elle mourut en couches ainsi que son bébé lui aussi velu. Le mari les embauma et continua à les produire jusqu'à pourrissement. Il les fit empailler et au bout de quelques mois les vendit. Aujourd'hui, ils sont la propriété d'un collectionneur américain.

    • Curiosités médicales

    Joseph Merrick lui-même attribuait ses déformations au fait que sa mère avait été poursuivie dans sa grossesse par un éléphant échappé d’un cirque, selon la croyance en une influence des facteurs psychiques sur  la genèse de malformations congénitales. Évidemment, le diagnostic médical est tout autre.

    Joseph Merrick présentait trois types de lésions : des lésions cutanées bourgeonnantes, formant à certains endroits des masses volumineuses (joue droite, lèvre supérieure, crâne, bras droit), des masses pendantes formant de vastes poches cutanées (poitrine, dos, fesses) , et des protubérances osseuses déformant le crâne, le bras droit, et les pieds.

    Ce n’est qu’en 1909 que le docteur F. Parkes Weber, de l’hôpital allemand de Londres, évoque la neurofibromatose, mais sous une forme exacerbée.

    La neurofibromatose est une maladie décrite en 1882 à Strasbourg par le pathologiste allemand Friedrich von Recklinghausen, caractérisée par la prolifération de tumeurs de la gaine des nerfs, les neurofibromes, et la présence de taches pigmentées café au lait. C’est une maladie rare, héréditaire. Dans la majorité des cas, la maladie est discrète et le patient ne présente que quelques taches café au lait et quelques neurofibromes cutanés. Cependant des fois, les lésions peuvent être multiples, de grande taille, et affecter une partie de l’organisme ; l’Homme Éléphant fut le cas le plus extrême de cette affection : il présentait de grands neurofibromes déformants cutanés, sous-cutanés et périostes (déformations osseuses).

    Ce diagnostic est accepté, cependant en 1983 H. R. Wiedemann et son équipe font de nouvelles observations et décrivent un nouveau symptôme.  La symptomatologie étant très variable,  il est nommé syndrome de Protée, d’après le dieu grec aux apparences multiples. Ce syndrome est une maladie  qui affecte la croissance des tissus et produit des déformations, l’association très rare de malformations dont la transmission génétique se fait suivant le mode dominant (il suffit qu’un des deux parents porte l’anomalie génétique pour que l’enfant ait la maladie), et se traduisant par une augmentation de volume de la moitié du corps. Chez Joseph Merrick, il comprend un épaississement des tissus cutanés et sous-cutanés avec tumeurs multiples, un énorme partiel des mains et des pieds et une hypertrophie asymétrique  des membres et du crâne avec épaississement osseux. Cette affectation était vraisemblablement auparavant confondue avec la neurofibromatose.

    Par ailleurs, l’absence d’histoire familiale et de taches café au lait et une symptomatologie atypique excluent le diagnostic de neurofibromatose pour l’Homme Éléphant ; mais la comptabilité avec le syndrome de Protée est bien réelle et l’examen du squelette et des moulages de la tête et des pieds renforce de diagnostic.

    25 janvier 2010

    Chapitre d'introduction (par Carole)

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    11 janvier 2010

    Présentation

     

    Bonjour, nous sommes quatre élèves de 1èreL au Lycée Fustel de Coulanges à Strasbourg. Pour notre TPE, nous avons choisi le thème suivant :

    La perception de la laideur humaine au XIXème siècle.

    La problématique a laquelle nous allons tenter de répondre est donc "Comment est perçue la laideur humaine au XIXème siècle ?".

    Pour faciliter votre visite, nous vous présentons ici le sommaire de ce blog.

    Chapitre d'introduction (par Carole) [lien]

    • L'étymologie
    • Le concept de "laideur"
    • Le XIXème siècle, contexte historique et politique
    • La vision générale de la laideur au XIXème siècle

    I. Laideur humaine et société (par Emilie) [lien]

    1. Les réactions et les représentations populaires
    2. Les "monstres humains", victimes de leur image hideuse
    3. Curiosités médicales

    II. Laideur humaine et littérature (Par Clara) [lien]

    1. Gwynplaine, l'homme au sourire inquiétant
    2. La Créature de Victor Frankenstein
    3. Baudelaire ou la sublimation de la laideur

    III. Laideur humaine et peinture (par Cécile) [lien]

    1. L'académisme
    2. Le romantisme
    3. Le réalisme
    4. L'art nouveau

    Conclusion (par Carole) [lien]


    Nous vous souhaitons une bonne visite !


    Clara, Emilie, Carole, et Cécile.

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    TPE sur la perception de la laideur humaine au XIXème siècle
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