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TPE sur la perception de la laideur humaine au XIXème siècle
25 janvier 2010

II. Laideur humaine et littérature (Par Clara)


 1.  Gwynplaine, l’homme au sourire inquiétant 

  

 Victor Hugo (né en 1802 et mort en 1885) est écrivain, dramaturge, poète, homme politique, académicien et intellectuel engagé. Il crée le personnage de Gwynplaine dans L'Homme qui rit, un enfant défiguré par un rictus permanent de rire grotesque, rendu tel par des trafiquants, les « comprachicos », qui achètent  des enfants, pratiquent une chirurgie faciale ou corporelle, selon la finalité recherchée ou demandée, et les revendent sur le marché des monstres, c’est-à-dire les foires. Il a les articulations disloquées d’une façon savante : on lui « avait fendu la bouche, débridé les lèvres, dénudé les gencives, distendu les oreilles, décloisonné les cartilages, désordonné les sourcils et les joues, élargi le muscle zygomatique, estompé les coutures et les cicatrices, ramené la peau sur les lésions, tout en maintenant la face à l’état béant, et de cette sculpture puissante et profonde était sorti ce masque, Gwynplaine ». On lui avait laissé les dents, car elles sont nécessaires au rire. Ainsi, il avait « une bouche s’ouvrant jusqu’aux oreilles, des oreilles se repliant jusque sur les yeux, un nez informe fait pour l’oscillation des lunettes de grimacier, et un visage qu’on ne pouvait regarder sans rire ». Il faut noter que la difformité physique de Gwynplaine ne concerne que son visage, complètement défiguré, le reste du corps étant intact. Gwynplaine, beau de corps (il était grand, bien fait et agile), avait probablement été beau de figure. En naissant, il avait dû être un enfant comme un autre. Ses cheveux ont été teints définitivement en ocre jaune, lui faisant une tignasse crépue et laineuse. Derrière ce masque, Gwynplaine n’est pourtant que douceur, gentillesse, droiture et innocence. 

Fils d’un lord anglais exilé en Suisse, il a été enlevé à l’âge de 2 ans, sur ordre du roi Jacques II et vendu à ces abjects comprachicos. Gwynplaine reste avec eux jusqu’à l’âge de 10 ans, mais il est abandonné quand ceux-ci prennent la mer pour fuir la justice qui les pourchasse. Cet abandon se passe en 1690, moment où l’on rencontre Gwynplaine pour la première fois et moment où lui-même sauve Dea, un bébé âgé d’environ 6 mois, d’une mort certaine par une nuit d’hiver alors que sa mère succombe dans le froid. Cette terrible nuit, Gwynplaine et Dea, qui est aveugle, sont recueillis par Ursus, vieux philosophe itinérant, qui leur sert de père, de professeur et de protecteur jusqu’à ce qu’ils deviennent adultes. Ursus apprend à Gwynplaine à jouer la comédie et c’est comme troupe de théâtre qu’ils arrivent à Londres en 1705 alors que le jeune homme a 25 ans, est complètement ignorant des usages du monde et n’a d’yeux que pour Dea, sa sœur et amie. Dea est son alter ego avec qui il partage la douleur des infirmes et des orphelins, mais Gwynplaine a des doutes sur leur amour : ne profite-t-il pas de sa cécité pour se faire aimer alors qu’il est horrible à voir ? 

C’est à Londres que Gwynplaine apprend sa réelle identité : confronté au prisonnier Hardquanonne, l’homme qui l’a opéré et lui a donné cet éternel sourire monstrueux, le « masca ridens » (masque de rire), il est reconnu par la justice comme étant Lord Clancharlie, pair du royaume. Quand il apprend sa bonne fortune (marquis, baron, maître de quatre-vingt mille fermiers, juge, propriétaire de huit châtellenies, etc.), Gwynplaine a un coup de folie des grandeurs. « Je sentais bien sous mes haillons palpiter autre chose qu’un misérable, et, quand je me tournais du côté des hommes, je sentais bien qu’ils étaient le troupeau et que je n’étais pas le chien, mais le berger. » Il réclame sa vengeance pour avoir été spolié, abandonné, réduit à l’errance et à la misère, marginalisé. Il songe à profiter de ses biens. Dès lors pourrait s’ouvrir une vie de rêve et d’opulence, mais Gwynplaine est défiguré à jamais et il aura beau faire tout ce qu’il voudra et tenter de prouver au monde qu’il est un homme respectable, honnête et bon, il restera un bouffon dont la haute société continuera de rire sans le comprendre. Il avait cru pouvoir être aimé de Josiane, la superbe duchesse, mais celle-ci le repousse. Il avait cru trouver une famille en son demi-frère David, celui-ci le provoque en duel. Il avait cru peser à la Chambre des Lords, il a été dénigré et ridiculisé. 

 Plusieurs traits caractérisent Gwynplaine dans le roman de Victor Hugo. Le jeune homme ne pourra jamais sortir de ce rôle d’amuseur de foire. Même quand, ayant récupéré son titre de pair d’Angleterre, il prononcera un discours enflammé en faveur des pauvres, il demeurera un saltimbanque, un bouffon. Jamais il ne sera pris pour lui-même, sauf de la part de celle qui ne voit pas, Dea. Il n’est que sa difformité : « Chose inexprimable, c’était avec sa propre chair que Gwynplaine était masqué. Quel était son visage, il l’ignorait. Sa figure était dans l’évanouissement. On avait mis sur lui un faux lui-même. Il avait pour face une disparition. ». 

 Quand il se regarde, il voit un inconnu. De plus, cet inconnu est monstrueux, avec un visage si épouvantable qu’il amuse : « Il faisait tant peur qu’il faisait rire. Il était infernalement bouffon ». Dès qu’on voit Gwynplaine, on rit. Quand on a ri, on détourne la tête. Les femmes surtout en ont horreur. Pour elles, en effet, cet homme artificiellement horrible « était insupportable à voir et impossible à regarder ». Lorsqu’il paraît en public, il essaie de « regarder les femmes qui étaient dans la foule ; mais il détournait tout de suite ce regard en contravention, et il se hâtait de rentrer, repentant, dans son âme. [...] Sur le visage de toutes les femmes qu’il regardait il voyait l’aversion, l’antipathie, le rejet ». 

 En ce qui concerne le rire de Gwynplaine, il est automatique et éternel. De plus, le protagoniste a de gros problèmes pour le maîtriser : « C’est en riant que Gwynplaine faisait rire. Et pourtant il ne riait pas. Sa face riait, sa pensée non. [...] Le dehors ne dépendait pas du dedans. [...] Personne ne se dérobait à ce rictus ». Avec un grand effort, il « pouvait parvenir à suspendre cet éternel rictus de sa face et à y jeter une sorte de voile tragique, et alors on ne riait plus devant lui, on frissonnait ». En réalité, il ne fait presque jamais cet effort, car c’est une fatigue douloureuse et une tension insupportable pour lui.

Nous pouvons faire un parallèle entre Gwynplaine et Josiane. Ce que Gwynplaine est au-dehors, c’est-à-dire un personnage repoussant, Josiane l’est à l’intérieur. Elle se sait monstrueuse, d’autant qu’elle est bâtarde (elle est née d'une union illégitime). Le monstrueux externe lui permet de se complaire d’elle-même. S’unir au monstrueux, c’est s’en défaire mais c’est aussi un rapport de purification, d’autant que Gwynplaine est, avec Dea, l’image de la pureté absolue dans un monde visqueux. Josiane, dans sa perversité, ne considère pas Gwynplaine comme un autre véritable. Elle est son double inversé. C’est pourquoi il ne lui sera tout à coup plus rien quand elle apprendra qu’il est pair d’Angleterre destiné à devenir son mari. Elle n’a rien à faire d’un mari difforme. Gwynplaine n’était révélateur que dans la transgression, ce qui lui permettait d’aller au-delà. 

Ainsi, Victor Hugo, en faisant une sorte de pont entre le bouffon du Moyen Âge et la curiosité du XIXème siècle, prend en compte la thématique de la monstruosité « morale », dont la monstruosité physique est image et annonce le glissement de la notion de monstruosité du corps physique aux grandes terreurs sociales (au XXème siècle, la guerre de 1914-1918, le nazisme et le totalitarisme soviétique) et à leurs protagonistes, ou son éloignement dans la science-fiction. 

Gwynplaine est en tout cas un personnage touchant et lumineux, symbole de la souffrance des humbles, qui rappelle le bossu Quasimodo de Notre-Dame de Paris, cachant sous un corps laid une âme belle et aimante. 

 


2. La Créature de Victor Frankenstein 

Ecrit par Mary Shelley en 1816, Frankenstein ou le Prométhée moderne commence de la manière suivante : un scientifique, Robert Walton, mène une expédition folle vers le pôle. Malheur lui en prend : le navire et l'équipage se retrouvent coincés dans les glaces. Scrutant désespérément l'horizon, on croit apercevoir une personne sur un traîneau, filant à vitesse vertigineuse. L'incrédulité s'évanouit lorsque cet homme est recueilli : il s'agit de Victor Frankenstein. En piteux état, il est soigné par Robert Walton et son équipage. Lorsqu'il va mieux, il confie la raison de sa présence en un lieu si peu propice à la vie. Ainsi commence le récit de son histoire. Ce scientifique génial créé un être vivant à partir de morceaux de cadavres (il est à noter que beaucoup de gens croient que Frankenstein est la Créature ; or, il est en fait son créateur). Puis, horrifié, il l’abandonne et s’enfuit. En proie au monde qui l'entoure, qu'il ne comprend pas et qui ne le comprend pas, le Monstre décide de commettre le mal lui-même en assassinant pour commencer le petit frère de Frankenstein (« Je peux, moi aussi, créer le désespoir ! ») et va trouver ce dernier, lui expliquant ses malheurs. Le monstre promet de laisser les humains en paix si Frankenstein lui fabrique une compagne. Le savant s'exécute, mais détruit son œuvre au dernier moment, craignant que cela ne provoque un danger pire. Pour se venger, la Créature assassine Clerval, le meilleur ami de Frankenstein, puis sa fiancée, Elisabeth. Frankenstein décide alors de poursuivre la créature, ce qui le mène au Pôle Nord. Il finit par y mourir de froid, racontant avant d'expirer son histoire au capitaine Walton, explorateur l'ayant recueilli sur son bateau. Le monstre, pris de remords et reconnaissant ses crimes, part au loin s'immoler par le feu. 

Mary Shelley propose un monstre bien réel créé selon les principes de la science. Animée de bonnes intentions, la créature de Frankenstein ne deviendra mauvaise que par obligation, dans la quête désespérée d'un bonheur dont elle est privée. Critique des dérives de la science et de l'humanité, Frankenstein est également un pamphlet contre l'ordre social, où l'exclusion menace quiconque veut s'éloigner des normes. Mary Shelley, féministe autoproclamée, athée, à la jeunesse marquée de scandales et de reniement, s'exprime-t-elle par la bouche de son monstre ? Certains détails de l'oeuvre le laissent penser, lors d'acerbes réflexions de la créature sur l'humanité et le monde qui l'entoure. L'Homme, placé au centre de tout par les philosophes des Lumières, devient un être orgueilleux, vicieux, incapable d'assumer ses responsabilités. 

  

3.   Baudelaire ou la sublimation de la laideur 

  

Charles Baudelaire (1821-1867) est critique d’art, traducteur d’Edgar Allan Poe et poète. En 1857, il publie le recueil de poèmes Les Fleurs du Mal. L’œuvre fait scandale et est aussitôt condamnée pour immoralité. Six poèmes sont censurés. 

L’antithèse du titre précise l’enjeu du recueil : « extraire la beauté du Mal ». Le mal, ce sont les souffrances de créateur et de l’amant, sa mélancolie, sa perversité et ses haines. Les fleurs, ce sont les purs poèmes que l’alchimie verbale crée à partir de la souffrance et de l’horrible. Par sa construction, le recueil peut se lire comme l’itinéraire d’une âme à la recherche de l’idéal. 

 La seule première partie, « Spleen et Idéal », réunit les deux tiers des poèmes de l’ensemble, soit quatre-vingts pièces. Suivent : « Tableaux parisiens », dix-huit pièces ; « Le Vin », cinq ; « Fleurs du mal », neuf ; « Révolte », trois ; et « La Mort », six.

 

       

 Pour comprendre les reflets de la laideur par Baudelaire, nous allons étudier quatre poèmes, extraits des Fleurs du Mal : « Le Masque » et « Une Charogne », extraits de la première partie ; « Les Petites Vieilles », qui fait partie de « Tableaux parisiens » ; et enfin, « Les Métamorphoses du Vampire », qui est tirée des Pièces Condamnées (celles qui ont été censurées lors de la première publication de 1857). Ces textes, qui traitent tous paradoxe entre apparence et réalité, peuvent se regrouper en deux idées principales : d’une part, la beauté qui cache le Mal, et d’autre part, la vieillesse derrière laquelle on retrouve la beauté première.

 



Le poème « Une charogne » présente une situation atypique : un couple en promenade, Baudelaire et une femme, représentant peut-être sa maîtresse Jeanne Duval, la Vénus noire, qui « au détour d'un sentier » rencontrent un cadavre d'animal en décomposition. Ce poème évoque une sorte de lettre ou de discours de Baudelaire à celle qu'il aime   pour lui dire que seul le poète -ou l'amant- peut garder l'éternité d'une forme dans sa beauté : le temps détruit tout et la beauté devient laideur. C’est une forme de poésie qui repose, entre autres, sur l'alliance des contraires afin de présenter une autre vision du monde.

Baudelaire, dans un contexte agréable, présente une description repoussante de la charogne. Il frappe d'emblée l'imagination du lecteur par une opposition forte : « un été si doux » / « une charogne infâme ». La chose doit être surprenante puisqu'elle se trouve « au détour d'un sentier », ce qui signifie que les deux promeneurs tombent dessus sans s'y attendre. On retrouve le champ lexical de la mort, avec les mots « charogne », « carcasse », « squelette », « ossements », « ordure », « décomposition », « pourriture » et « horrible infection » ; celui de la putréfaction : « exhalaison », « puanteur », « vermine », « larves », « mouches » et « putride ». Nous pouvons observer la présence d’une oxymore à effet ironique : « carcasse superbe » (vers 13), ainsi qu’une antithèse qui crée des chocs d’atmosphère : « soleil rayonnait sur cette pourriture »

Paradoxalement, plusieurs éléments de la vie sont présentés : « Et le ciel regardait la carcasse superbe / Comme une fleur s'épanouir. » (vers 13 et 14) et « On eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague, / Vivait en se multipliant. » (vers 23 et 24). De plus, le soleil, indispensable à la vie végétale, vient rayonner sur ce cadavre en décomposition : « Le soleil rayonnait sur cette pourriture, / Comme afin de la cuire à point, / Et de rendre au centuple à la grande Nature / Tout ce qu'ensemble elle avait joint » (vers 9 à 12). Le processus de décomposition est tel que le poète utilise le mot « centuple » pour l'évoquer. « Le soleil cuit à point » : la chaleur est donc très forte, accélérant ainsi le phénomène.

 Il fait une description érotique de la carcasse : « Les jambes en l'air, comme une femme lubrique, / Brûlante et suant les poisons, / Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique / Son ventre plein d'exhalaisons. » (vers 5 à 8). En effet, le « ventre », les « jambes en l'air », une « femme lubrique, brûlante » – ce qui  est un double sens : celui de la fièvre qui conduit à la mort, mais aussi celui du feu du désir –, l'adjectif « nonchalante » qui résonne ici avec sensualité, font penser à une femme qui offre son corps. De plus, les « exhalaisons » font penser au parfum dont s'enduit la courtisane. La charogne est donc comparée à une femme ou à une prostituée.

« Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve, / Une ébauche lente à venir, / Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève / Seulement par le souvenir. » (vers 29 à 32) : Charles Baudelaire en vient à évoquer le rôle de l'artiste, c'est-à-dire du poète. La comparaison est ici empruntée à la peinture. Par un curieux paradoxe, c'est au moment même où les formes s'effacent – le corps se décompose totalement et devient une bouillie de chairs en décomposition – que l'ébauche d'une forme peut se faire. La poésie arrache les êtres et les choses au gouffre de la mort et à la réalité de la décomposition. Elle le fait par un processus très précis : le poète (l'artiste) ne peut retenir du réel que des impressions mortes, désignées ici par la figure du cadavre. Sa sensibilité, son génie consiste à les ressusciter sous une forme sublimée . L'artiste métamorphose la mort en vie.

La vieillesse et la mort sont donc masquées par la beauté du moment. Baudelaire sublime une carcasse ; il extrait la beauté de l’horreur, tout en rappelant à l’humain que son futur est de devenir comme cette charogne. Le parallèle entre vieillesse et jeunesse est le même que la comparaison entre laideur et beauté ; les deux se suivent.

 

« Les Petites Vieilles » a été publié pour la première fois en 1859 sous le titre de « Fantômes parisiens ». Baudelaire décrit dans ce poème sa rencontre avec les petites vieilles de Paris. Elles ont un aspect presque archéologique, et témoignent d’un temps qui n’est plus. Elles sont les témoins d’une époque révolue ; de ce fait, elles entretiennent un rapport singulier à la réalité, comme si elles étaient déplacées dans ce monde moderne qui n’est pas le leur. Ces pauvres êtres n’existent que sous le regard amusé et apitoyé du poète. Son point de vue est à la fois détaché, ce qui se traduit par une certaine forme de cruauté, et fasciné : il se projette en elles et élabore à leur contact toutes sortes de scénarios imaginaires, pris dans une espèce de dérive hors de lui qui le pousse vers ces créatures extraordinaires.

Nous étudierons dans un premier temps le portrait général de ces petites vieilles, puis la manière dont elles sont perçues par le poète.

La principale caractéristique de ces femmes est leur marginalité. Elles sont hors de la civilisation par leur âge, elles ne sont vues que par les autres marginaux de la société, et leur vieillesse est un cas universel.


 

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